L'armée française passa la Scrivia, le 13 juin
au matin, pourse porter surSan-Giuliano. Le gêneral Lannes était
à l'avant-garde avec les divisions Watrin etMainoni. Le
général Desaix commandait les divisions Boudet et Monnier. Il
arrivait d'Égypt ; avait obtenu d'abréger sa quarantaine à
Toulon et il avait rejoint l'armée, seulement depuis la veille. La
division du général Lapoype, qui n'avait pas encore passé
le Pô, devait être réunie à son corps. Les divisions
Chambarhac et Gardanne formaient toujours le corps du général
Victor, auquel était attachée une brigade de cavalerie
commandée par le général Kellermann. Avec la cavalerie
commandée par le général Murât, la réunion de
toutes ces troupes ne dépassait pas trente mille hommes.
Aucun indice ne faisait encore soupçonner le parti
que le général ennemi avait dû prendre. On s'attendait
à trouver son armée en bataille dans la plaine, entre la Scrivia
et la Bormida ; les troupes légères la parcoururent ; rien ne
parut jusqu'au village de Marengo, où se trouvait une
arrière-garde autrichienne de quatre à cinq mille hommes, que le
général Ott y avait laissée la veille, en allant du camp
de San-Giuliano passer la Bormida avec le restant de son corps. Dans la
soirée, le premier Consul fit attaquer cette arrière-garde par la
division du général Gardanne. Les ennemis se défendirent
faiblement; ils firent en bon ordre leur retraite sur les ouvrages de la
tête de pont et ils repoussèrent les Français qui
cherchaient à y pénétrer. À. la nuit, le
général Gardanne prit position à Pedra-Bona. Il est
vraisemblable que, pour mieux cacher ses projets, le général
Mêlas avait ordonné cette prompte retraite, et d'abord son dessein
ne fut pas pénétré. Le premier Consul ayant lui-même
reconnu le terrain, crut que les ennemis, en se concentrant sous les murs
d'Alexandrie, avaient en vue de faire un mouvement de flanc et de
s'éloigner. Dans cette pehsée , il arrêta des dispositions
pour forcer, le lendemain, les retranchements de la tête de pont, passer
la Bormida au-dessus, et mettre ainsi l'armée autrichienne dans la
nécessité de combattre. La division du général
Gardanne conserva pendant la nuit la position de Pedra-Bona et celle du
général Chambarhac fut placée en seconde ligne à
Marengo avec la brigade de cavalerie du général Kellermann. La
cavalerie du général Murât et le corps du
général Lannes se formèrent en avant de San-Giuliano. La
division du général Monnier, détachée du corps du
général Desaix, se porta sur la droite, à Castel-Novo di
Scrivia, et le général Desaix marcha, avec la division Boudet,
vers Rivalta, pour lier les communications avec le général Suchet
sur Acqui et observer en même temps la route de Gênes. Ces
dispositions font juger que le premier Consul ne s'attendait nullement à
être attaqué le lendemain par toute l'armée ennemie ; car
s'il l'avait prévu, il se serait gardé, inférieur en
nombre comme il l'était, de détacher à une marche de son
centre le corps du général Desaix et de laisser d'aussi grandes
distances entre ses divisions. Le soin que le général Mêlas
avait pris de tenir ses projets cachés jusqu'au moment de
l'exécution, et sa ruse pour faire croire qu'il voulait éviter le
combat, en retirant précipitamment de Marengo l'arrière-garde du
général Ott, trompèrent ainsi le premier Consul. Cette
ruse, qui avait déjà réussi au général
Mêlas avec le général Championnet , convenait encore
à la circonstance actuelle, et il s'en fallut même de bien peu
qu'elle ne réussît de nouveau.
Des rapports venus pendant la nuit de Rivalta et des bords
du Pô firent pressentir au premier Consul l'approche de la bataille et
l'imminence du danger ; lorsqu'ils lui parvinrent, il était en route
pour rentrer à son quartier général. Il s'arrêta
à Torre-di-Garofoldo et il n'eut rien de plus pressé que de
rappeler le corps du général Desaix, dont l'éloignement le
privait, jusqu'à la fin de la journée, d'une partie de ses
forces. Il envoya des ordres pour placer les autres troupes à
portée de se soutenir, et il fît garder les principaux
débouchés.
Les deux divisions du général Victor avec la
brigade de cavalerie du général Kellermann reslè rent
ainsi en position à Pedra-Bona et à Marengo. Le
général Lannes forma en seconde ligne, à six cents toises
en arrière, ses deux divisions et la brigade de cavalerie
commandée par le général Champeaux. La garde des consuls
et une brigade d'infanterie, commandée par le général
Carra Saint-Cyr, étaient en réserve à la troisième
ligne, et le général de cavalerie Rivaud fut
détaché à Sale avec sa brigade, pour observer cette
direction qu'on supposait pouvoir être prise par les ennemis. L'en semble
de toutes ces troupes ne dépassait guère vingt mille hommes, dont
deux mille cinq cents de cavalerie, et, au jour, les Autrichiens allaient
déployer plus de quarante mille hommes, dont six à sept mille de
cavalerie et une artillerie formidable. Si néanmoins le premier Consul
soutint le combat jusqu'à Varrivée des divisions du
général Desaix, il faut l'attribuer autant à l'excellence
de ses dispositions qu'à la valeur de ses troupes, qu'il disposa en
ordre oblique par échelons, l'aile gauche en avant, de manière
que, en se protégeant réciproquement, elles obligeaient les
ennemis à s'étendre et à perdre du temps dans leurs
déploiements.
L'armée autrichienne passa sur trois points la
Bormida, le 14 juin, à la pointe du jour. Des corps d'infanterie
légère et toute la cavalerie, aux ordres du général
Elsnitz, formant la colonne de gauche, se dirigèrent sur Castel-Ceriolo,
par la route de Sale ; les deux autres colonnes, qui comprenaient
l'infanterie,de bataille et la réserve de grenadiers, suivirent la
grande route de Tortone et celle de Frugarolo. Il était huit heures
lorsqu'elles se déployèrent en face de Pedra-Bona, devant la
division du général Gardanne. Le lieutenant général
Haddick commandait la première ligne ; le général en chef
Melas, ayant près de lui son chef d'état-major, le
général Zach, officier de réputation, dirigeait en
personne la seconde; et la troisième ligne, composée des corps de
réserve, recevait les ordres du général Ott.
De nombreuses batteries protégèrent le
déploiement de ces masses. L'action commenca, mais la partie
était par trop inégale pour que le général Gardanne
pût défendre Pedra-Bona. Ecrasé par la
supériorité de l'artillerie autrichienne, et près
d'être enveloppé, il se retira sur Marengo, à la droite de
la division Chambarhac, que le général Victor avait
envoyée à son secours. Alors les deux divisions se
trouvèrent engagées, et tous les efforts des ennemis eurent pour
but de les éloigner de Marengo. Le général Mêlas
paraissait vouloir se faire un appui de ce village; la gauche de son centre,
après avoir passé un ravin qui était en avant,
manuvrait pour déborder Marengo, et le général
Elsnitz formait sa cavalerie en avant de
Gastel-Ceriolo. Le général Rivaud, celui qui
avait si bien contribué au gain de la bataille de Montebello , fut le
premier à s'apercevoir de ce mouvement ; il se détache
aussitôt avec sa brigade de la droite de la division Gardanne ; il marche
où le danger est le plus pressant, dégage un bataillon de la 43^
demi-brigade., déjà très-maltraité, repousse deux
charges d'un corps de grenadiers hongrois, et le rejette au delà du
ravin. Là, d'un borda l'autre, le carnage redouble ; le
général Rivaud est lui-même blessé , il se
maintient pourtant, et la première ligne conserve encore sa position.
Le général Victor avait perdu et repris
Marengo ; ses deux divisions faisaient des efforts incroyables pour s'y
défendre, tandis qu'à leur droite, celles du
général Lannes se portaient à la même hauteur. Sur
tout le prolongement du front de ces quatre divisions, on se canonnait à
demi-portée de mitraille. Les rangs s'éclaircissaient ; les
troupes de la gauche, abîmées de pertes et de fatigue, manquant
presque de munitions, sont enfin forcées de céder Marengo, pour
se reformer en arrière, parallèlement aux ennemis. Ceux-ci,
s'appuyant sur le village, se développent alors dans la direction de
Castel-Ceriolo, et marchent avec confiance, pour attaquer le corps du
général Lannes. Mais, reçus par la division Watrin, ils
sont repoussés, chargés à leur tour, et rejetés,
pour la seconde fois, au delà du ravin,
Ce succès aurait infailliblement produit d'heureux
résultats, si le général Lannes avait pu en profiler-,
mais la crainte d'exposer les divisions du général Victor
à être enveloppées l'obligea à s'arrêter. Ces
divisions, considérablement affaiblies par quatre heures de combat,
étaient réduites à presque rien, et elles étaient
à bout de leur résistance. Vainement, pour soutenir ce qui
restait, le général Kellermann multipliait les charges de sa
cavalerie, en vain aussi les chefs se dévouaient. A midi, elles furent
enfoncées, mises dans le plus grand désordre,
débordées et poursuivies. Ne rencontrant en arrière aucun
appui, elles traversèrent, d'une course, deux lieues de plaine, et elles
gagnèrent San-Giuliano pour se rallier. La retraite attirait le
même danger sur le corps du général Lannes et devait
l'entraîner ; en effet, il se mit en mouvement, mais en si bon ordre, et
il manuvra avec tant de précision, que ses échelons,
disposés de manière à se protéger
réciproquement, ne purent jamais être entamés, et
repoussèrent toutes les charges dirigées contre eux. |