Correspondence du
Maréchal Davout
Octobre 20, 1806 - Octobre 25, 1806 (190 - 199)
190. - A L'EMPERÉUR ET ROI.
Wittenberg, 20 octobre 1806
Sire, les intentions de Votre Majesté sont remplies'
: l'avant-garde du 31 corps a passé l'Elbe, le 20, à neuf heures
du matin; tout le corps d'armée était sur la rive droite avant
trois heures\ après midi - j'ai adressé, à cette
époque, l'adjudant commandant Beaupré au prince de Neufchatel,
pour lui donner connaissance de cet événement. Les Prussiens,
à notre approche, ont mis le feu au pont et se sont sauvés sans
s'opposer aux secours prompts qui ont été apportés et ont
eu le meilleur résultat en sauvant le pont, qui est de la plus grande
solidité.
Les reconnaissances ont rencontré sur la route de
Berlin, à une lieue et demie d'ici, deux régiments d'infanterie
et quelques escadrons de cavalerie qui se portaient sur Wittenberg pour
défendre le passage de l'Elbe. Se voyant prévenus, ils se sont
retirés. J'ai envoyé un parti pour communiquer avec le
maréchal Lannes, je n'en ai pas encore de nouvelles. Les Prussiens ont
brûlé toutes les barques entre Wittenberg et le pont de Dessau. 50
chasseurs du ler régiment que j'ai envoyés en reconnaissance sur
Torgau se sont emparés du pont, que les Saxons n'ont pas défendu,
disant qu'ils étaient en paix avec nous. Ce pont est dans le meilleur
état. Il existe à Wittenberg un magasin contenant plus de 140
milliers de poudre en bon état. On en a les clefs.
Les fortifications qui étaient autour de Wittenberg
sont en grande partie détruites : il faudrait beaucoup de travaux pour
mettre cette place à l'abri d'un coup de main. En conséquence de
vos ordres, Sire, on a tracé et l'on travaillera tout de suite à
une tête de pont. Il serait à désirer qu'on envoyât
quelques compagnies de sapeurs et des fonds pour cet objet. Je
réclamerai aussi quelques officiers du génie, presque tous ceux
du 3" corps ayant été blessés à l'affaire du 14. Il
y a dans tous les villages beaucoup de déserteurs prussiens et de
traînards.
191. __ AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Wittenberg, 21 octobre
1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre
Altesse quatre lettres du prince de Wurtenberg à l'officier prussien qui
commandait les troupes à Wittenberg. Ces lettres, qui ont
été interceptées, prouvent que l'armée prussienne
ne songe pas à couvrir Berlin, et que sa retraite est ordonnée
sur l'Oder.
J'ai fait prendre au 3e corps les positions suivantes :
La 1re division est placée en
avant de Wittenberg, maîtrisant les routes de Potsdam et de Belzig; elle
a en avant d'elle un parti de 100 chevaux pour éclairer ces deux routes.
La 2e division a sa brigade de droite
sur la route de Torgau, maîtrisant celles de Jessen et de Zahna; cette
brigade est couverte par le 2e régiment de chasseurs à cheval. La
2 brigade est sur la route de Koswich.
La 3e division est en réserve
au village de Plata, sur la rive gauche de l'Elbe. Je me fais éclairer
par ma cavalerie sur le triangle qui se trouve vers Dessau, entre la Mulda et
l'Elbe. J'ai ordonné au général Vialannes de pousser une
forte reconnaissance sur Potsdam.
En attendant les ordres de Votre Altesse, le corps
d'armée prend ici quelques instants de repos dont il avait besoin pour
rallier les hommes, que des marches longues dans un pays sablonneux avaient
forcés de rester en arrière. Il m'a été rendu
compte qu'il existe sur l'Elbe des magasins considérables, notamment
à Wittenberg et à Koswich. J'ai ordonné qu'on en
prît possession et qu'on en fît constater l'état.
Le général Hanicque a reconnu à un
quart de lieue de cette ville un magasin à poudre. D'après son
rapport, il existe 300 milliers de poudre de bonne qualité et bien
conservée. L'équipage de pont a été
arrêté par les sables ; il ne pourra guère arriver à
Wittenberg que sous quelques heures. Je fais réunir tous les mariniers
et pilotes du pays pour lui faire descendre l'Elbe jusqu'au point qu'il plaira
à Votre Altesse de désigner. On fera suivre par terre les chevaux
et les haquets.
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Altesse le compte
que m'a rendu le colonel du génie Touzard, sur l'état de la place
de Wittenberg. J'ai ordonné à cet officier supérieur de
faire tracer sur-le-champ, aux deux rives de l'Elbe, les ouvrages
nécessaires pour mettre le pont de l'Elbe à l'abri d'un coup de
main. Je l'ai autorisé à faire aux autorités du pays
toutes demandes de pionniers, ouvriers et matériaux qui seront
nécessaires.
Je prie Votre Altesse de considérer qu'à la
bataille du 14-, quatre officiers du génie du corps d'armée ont
été mis hors de combat, et que la compagnie de sapeurs a
tellement souffert à cette même bataille, qu'il n'y reste que 36
hommes disponibles, parmi lesquels il ne se trouve aucun ouvrier d'art. Je prie
Votre Altesse d'envoyer à ce corps d'armée des officiers du
génie, ainsi que des compagnies de mineurs et de sapeurs pour pouvoir
suivre ces travaux. Une reconnaissance du 12e régiment de chasseurs
à cheval envoyée sur Roslau, y est arrivée pendant la nuit
et a trouvé les troupes de la division Suchet passant l'Elbe sur des
nacelles.
une autre reconnaissance du 1er régiment de chasseurs
à cheval s'est emparée du pont de Torgau et en a confié la
garde aux troupes saxonnes, avec la condition expresse d'en défendre le
passage aux troupes prussiennes.
192. AU MAJOR GÉNÉRAL
DE LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Wittenberg, 22 octobre
1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre
Altesse un rapport du capitaine de chasseurs chargé de la reconnaissance
de Torgau, ainsi qu'un état des denrées et munitions qui existent
dans cette place.
193. AU MAJOR GÉNÉRAL DE
LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Lukenvalde, 23 octobre.
Monseigneur, j'ai reçu en marche de Zahna à
Lukenvalde la lettre que Votre Altesse me fait l'honneur de m'écrire
pour renvoyer au dépôt de Wittenberg les hommes
écloppés qui pourraient se trouver dans le corps d'armée.
J'ai l'honneur de faire observer à Votre Altesse que cette mesure
devient déjà presque inexécutable pour ce corps, qui va
être aujourd'hui à deux grandes marches de Wittenberg, et que
d'ailleurs il s'y trouve peu d'hommes qui seraient susceptibles d'être
renvoyés sur les derrières. Tout le monde peut suivre.
194. AU MAJOR GÉNÉRAL DE
LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL,
ETC..
Lukenvalde, 23 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse que le corps d'armée ayant fait hier une marche plus forte que
je ne le présumais, il prendra position aujourd'hui entre Trebin,
où sera la 1re division, et Veittersdorff; de sorte que demain 24, vers
les deux heures après midi, le corps d'armée sera rendu devant
Berlin. Si je ne reçois point d'ordres contraires, l'armée sera
en marche à cinq heures du matin. J'attends le général
Hulin pour le mettre en possession du commandement de cette place. Cette nuit,
j'enverrai quelques partis pour cerner Berlin ; l'adjudant commandant Romeuf y
sera envoyé pour y assurer la subsistance des troupes.
195. AU MAJOR GÉNÉRAL
DE LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Lukenvalde, 23 octobre 1806.
Monseigneur, je m'empresse de rendre compte à Votre
Altesse que le général Vialannes, commandant ma cavalerie
légère, avait poussé une reconnaissance jusque sur
Potsdam; il y serait entré s'il n'avait reçu auparavant les
ordres que je lui ai fait expédier, pour me rejoindre à
Lukenvalde. Il arrive à l'instant, et il confirme le rapport qu'il
n'existe aucune troupe ennemie ni à Potsdam, ni à Berlin; que
tout s'est retiré par Magdebourg et derrière l'Oder.
196. AU MAJOR GÉNÉRAL DE
LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Aux faubourgs de Berlin, 24
octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse que le 3e corps est arrivé sous Berlin ; j'y avais envoyé
à l'avance l'adjudant commandant Romeuf avec des officiers
supérieurs d'artillerie et du génie et un commissaire des guerres
désigné par l'intendant général pour prendre
possession des arsenaux et magasins militaires et faire préparer des
subsistances.
L'adjudant commandant Romeuf m'a rendu compte
qu'aussitôt après son arrivée, un escadron du 9e
régiment de hussards faisant partie du 5e corps et quelques officiers de
M. le maréchal Lannes étaient entrés dans la place,
annonçant le 5e corps. J'ai écrit aussitôt au
maréchal Lannes la lettre dont j'ai l'honneur d'adresser copie à
Votre Altesse '.
Le général Hulin est arrivé; je lui ai
fait donner un détachement de cavalerie légère pour qu'il
puisse placer les postes essentiels; il est en possession de son commandement.
Demain, conformément aux ordres de Votre Altesse, le 3e corps fera son
entrée à Berlin et sera reçu par les magistrats et
notables, etc., et de là il ira prendre position à une lieue en
avant de la ville. Je laisserai à Berlin, à la disposition du
général Hulin, le 108e régiment, qui a beaucoup souffert
et qui a perdu ses chefs à la bataille du 14.
Toutes les dispositions renfermées dans la lettre du
23 de Votre Altesse seront exactement exécutées.
J'établirai ce soir mon quartier général à
Schönberg.
197. A M. LE MARÉCHAL
LANNES COMMANDANT LE 5e CORPS D'ARMÉE.
Des faubourgs de Berlin, 24
octobre 1806.
L'adjudant commandant Romeuf, que j'avais envoyé,
Monsieur le Maréchal, cette nuit à Berlin, me rend compte qu'un
escadron du 9' régiment de hussards, faisant partie de votre corps
d'armée, est entré ce matin dans cette place. Cependant Son
Altesse le prince de Neufchâtel m'a fait connaître que l'intention
de l'Empereur était que le 3e corps devait y entrer le premier, et qu'il
ne devait le faire que demain 25. J'ai lieu de croire, à
l'arrivée de cet escadron du 9e de hussards et de quelques-uns de vos
officiers, que des dispositions ultérieures et contraires ont eu lieu;
dans ce cas, je vous aurais obligation de me les faire connaître, pour
que je m'y conforme; mais si rien n'était changé aux ordres qui
m'ont été prescrits, j'ai l'honneur de vous prier, Monsieur le
Maréchal, de donner vos ordres pour que qui que ce soit de votre corps
d'armée n'entre dans Berlin avant qu'il y soit autorisé par Son
Altesse le prince de Neufchâtel : j'ai donné les miens en
conséquence '.
198. AU MAJOR GÉNÉRAL DE
LA GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Schonberg, 25 octobre 1806.
Monseigneur, l'officier de correspondance que Sa
Majesté m'a envoyé avec l'ordre de porter la division de dragons
sur Oranienbourg, n'est arrivé qu'à sept heures du matin; cet
ordre va recevoir son exécution, ainsi que tout ce que me prescrit Sa
Majesté '.
J'ai fait arrêter à la poste toutes les
lettres; j'ai observé que la plupart étaient adressées
à Magdebourg, où l'on croit encore ici que sont les forces
prussiennes; je les adresse à Votre Altesse : il m'en est tombé
une française sous la main que je joins ici, parce que la personne qui
l'écrit et qui paraît instruite, assure que l'armée du
prince de Hohenlohe se rassemble près de Brandebourg.
J'y joins également une lettre d'une personne
française qui reste ici et qu'il serait important de découvrir
pour avoir des renseignements. Enfin, j'y joins aussi un extrait des
dernières gazettes de Berlin, qu'il sera peut-être utile de mettre
sous les yeux de Sa Majesté parce qu'elles prouvent que, malgré
l'assertion de M. Lucchesini, lord Morpeth n'est parti qu'après la
bataille du 14; ces gazettes peuvent aussi faire connaître l'esprit qui a
dicté les derniers manifestes de la Prusse.
J'envoie à Votre Altesse un rapport que j'ai
reçu du colonel Charbonnel sur ce qu'il a déjà
découvert concernant sa partie à Berlin. L'armée
traversera la ville vers midi pour aller prendre position en arrière du
petit ruisseau qui se jette dans la Sprée au-dessous de Copnick. Mon
quartier général sera à Frederickfels.
199. __ AU MAJOR GÉNÉRAL DE LA
GRANDE ARMÉE PRINCE DE NEUFCHATEL, ETC.
Frederickfels, 25 octobre
1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre
Altesse que, par tous les renseignements que j'ai su me procurer, je suis
instruit qu'il n'existe que très-peu de troupes à Francfort, et
que le pont n'est pas encore coupé ; j'ai en conséquence
donné au général Vialannes, commandant la cavalerie
légère, l'ordre de surprendre cette ville.
J'ai également l'honneur d'adresser à Votre
Altesse un rapport de voyageurs allant à Hambourg et qui ont
été obligés de rétrograder.
Tous les partis que j'ai envoyés sur la Sprée
ne m'ont encore donné aucune nouvelle : et comme ils ont ordre de
pousser jusqu'à ce qu'ils rencontrent l'ennemi, je présume qu'ils
ont une longue course à faire. Suivant les ordres de l'Empereur qui
m'avait prévenu qu'il était possible que Spandau fît
quelque résistance, j'ai envoyé sur ce point un adjoint à
l'état-major qui m'a fait le rapport que cette place avait
capitulé '. |